— Chapitre 19 – Édition 3

Le marketing digital a obligé les entreprises à repenser leurs actions pour toucher leurs audiences à différents moments des parcours d’achat (de l’inspiration à l’acte d’achat, voire souvent post-achat). Elle a également permis à des marques de toutes tailles de s’exprimer sur de nouveaux canaux. 

La volonté grandissante de transparence, de véracité et de proximité émanant des consommateurs force aujourd’hui les marques à repenser leur stratégie marketing. Elles cherchent alors des leviers pour se rapprocher de leur cible et créer un dialogue qui n’est plus unidirectionnel. Le marketing d’influence apparait comme une solution plus qu’intéressante. Les influenceurs réussissent à toucher leurs audiences sur leurs supports de prédilection. Grâce à des contenus créatifs, authentiques et de qualité, ils engagent leur communauté tout en favorisant le dialogue. Une aubaine pour les marques qui sauront collaborer avec eux avec responsabilité et transparence.

Dans le chapitre 19 « Le marketing d’influence » de la troisième édition du Grand Livre du Marketing Digital, nous avons interviewé Clémence Poldge, community manager et créatrice de contenu. Vous y trouverez la synthèse de nos échanges. Et comme ces derniers étaient nombreux et riches, nous avons décidé de vous partager ce format long qui illustre bien la transformation et l’évolution du marketing d’influence de 2012 à nos jours.

 

1/ Peux-tu te présenter en quelques lignes ?

 

Je suis Clémence Polge, designer d’espace et de mobilier de formation. À la fin de ma vingtaine, un peu au (à !) bout de mon expérience en tant que salariée, j’ai lancé un blog lifestyle au travers duquel je pouvais m’évader et nourrir ma curiosité. L’influence à l’époque n’existait pas encore. Sur les blogs, pour la grande majorité féminins, il s’agissait surtout de partager des idées, des looks, des recettes, des DIY, et d’échanger ses points de vue. D’ailleurs, je passais déjà beaucoup de temps à lire et commenter celui des autres. Instagram commençait tout juste à devenir un incontournable en France et je nourrissais quotidiennement mon feed de photos Hipstamatic.

« J’ai vraiment contribué et assisté depuis l’intérieur à la naissance de l’influence en France ».

Dès 2012 donc, je plonge dans le monde de la blogosphère et de la création de contenu. J’apprends à coder pour personnaliser mon blog WordPress, je découvre les différents aspects et langages du web et des réseaux sociaux, j’entre peu à peu dans la communauté des blogueuses, je m’équipe pour faire de plus jolies photos… et peu à peu, en même temps que mes capacités et ma petite notoriété croissent, les marques voient en ces nouvelles plateformes (entre temps Pinterest est apparu aussi !) une nouvelle aubaine pour leur communication. Je prends part à des évènements sur Paris et ailleurs, je deviens ambassadrice pour de grandes marques, je fais quelques blog trips… j’ai vraiment contribué et assisté depuis l’intérieur à la naissance de l’influence en France. C’était passionnant de vivre cela et de voir doucement mais sûrement se mettre en place ces rouages, et ça l’est d’ailleurs toujours autant.

 

2/ Toi qui évolues dans le marketing d’influence depuis de nombreuses années, peux-tu nous dire en quoi le rapport avec les marques a changé ?

 

Au départ, les marques nous contactaient, nous blogueuses ou instagrameuses, pour mettre en avant leurs produits dans nos articles. Il y avait rarement de rémunération à la clé, c’était le plus souvent un échange de bons procédés. La rétribution “en visibilité” pour les créateurs de contenu avait encore du sens à l’époque (on ne cherchait pas à vivre de cela !) et ça permettait aux marques d’y aller encore à tâtons. Les chargés de communication (pas encore community manager !) voyaient le potentiel de ce nouveau canal mais devaient encore convaincre de sa plus-value en interne.

« Il y avait rarement de rémunération à la clé, c’était le plus souvent un échange de bons procédés. »

Hellocoton, un site parisien racheté à l’époque par Prisma Média, était LA plateforme incontournable pour avoir une vision globale des blogs féminins qui fonctionnent. Chaque jour la rédaction créait une « Une » des meilleurs articles par catégorie (mode / cuisine / littérature / humeur / déco / voyage…), ce qui permettait aux marques de repérer facilement les blogueuses à contacter pour leur prochaine campagne. Souvent en « Une » malgré un blog assez pluriel et confidentiel, j’ai ainsi eu la chance et l’opportunité à cette époque de collaborer à plus ou moins long terme avec des marques et entités de renom telles que (entre autres..) : American Vintage, Bensimon, Pinterest, San Marina, Eram, TOMS, Ralph Lauren, Sonia Rykiel, 1.2.3 Paris, La Redoute, Opinel, Pataugas, Lafuma, la SNCF, Gertrude+Gaston, Zalando,… j’ai même pu assister à quelques défilés de la Fashion Week de Paris une saison !

 

Mais comme pour tout, il y a vite eu des dérives. Les marques (je pense à Adidas par exemple) ont commencé à inonder nos feeds avec leurs produits. Je me souviens avoir refusé la collab Stan Smith parce que je saturais de les voir déjà partout chez les grosses blogueuses. (NDLR : C’étaient toujours elles qui lançaient les premières vagues d’articles et publications de chaque campagne. Souvent parisiennes, elles se connaissaient toutes et étaient sur place pour participer à tous les évènements)

« Ça m’a aussi fait réfléchir à ma place au milieu de tout cela, aux messages et faux idéaux que je pouvais véhiculer. À mon influence sur la construction et la consommation des autres. »

Par ailleurs, ayant compris qu’il y avait peut-être des produits gratuits à la clés, de nombreuses personnes se sont d’un coup improvisées blogueuses. Je recevais d’ailleurs de nombreux messages de jeunes filles me demandant des conseils pour avoir des partenariats ou pour que je parle d’elles. L’envie de partage avait cédé la place à l’envie de recevoir et pour certaines même, sur le modèle des premières influenceuses internationales, d’accéder à une certaine notoriété. Ça m’a aussi fait réfléchir à ma place au milieu de tout cela, aux messages et faux idéaux que je pouvais véhiculer. À mon influence sur la construction et la consommation des autres. À ma propre ambition dans ce nouveau monde digital et à ma consommation évidemment aussi.

 

Pour moi qui saturais de mon quotidien à ce moment-là, du trop plein de tout, j’ai peu à peu réduit mon activité sur le blog et le nombre de collaborations pour ne garder que celles qui faisaient encore sens pour moi. Quelques mois plus tard, début 2017, je faisais un vide appartement et devenais nomade en van à plein temps.

 

Dès lors, j’ai seulement gardé contact avec les marques/entités qui me suivent depuis toujours et avec deux agences RP spécialisées outdoor.

Aujourd’hui, mon blog n’existe plus vraiment, Instagram reste ma plateforme privilégiée pour les collabs.

 

3/ Tu as été ambassadrice pour la marque Leatherman France, en quoi consiste ce rôle ? Quelles sont tes obligations ? Tes espaces de liberté ?

 

J’ai été ambassadrice pour Leatherman durant l’année 2022. L’idée pour la marque était de revenir à la source de son produit phare, l’outil multifonction. En effet, ce dernier avait été imaginé par son fondateur lors d’un road trip en Europe. Quand Leatherman m’a contactée, je faisais un stage de mécanique pour gagner en autonomie dans mon van, et je cherchais comment embarquer avec moi quelques outils essentiels sans y sacrifier trop de place ! Cette proposition tombait donc à point nommé et je n’ai même pas eu à forcer pour trouver un angle pour communiquer.

 

Dès que la création de contenu est un peu devenue l’affaire de tous, j’ai eu à cœur (sauf exception) de ne plus accepter de telles prestations gratuitement afin de ne pas niveler vers le bas le travail des photographes professionnels. L’influence, les réseaux sociaux, et les filtres par milliers ayant vraiment mis à mal leur profession et leur capacité à en vivre. Ainsi, pour mes collabs, selon l’objectif et le budget de la marque, et en fonction du barème annuel des tarifs de l’influence, je propose un nombre de publi / stories / reels / concours sur chaque plateforme (Insta / FB / Pinterest).

 

La marque fournit alors souvent des guidelines sous forme d’un cahier des charges incluant l’ADN de la marque pour nous en imprégner, un planning plus ou moins strict de publication, le montant de la rémunération et le nombre et la nature des publications y correspondant.e.s, une terminologie précise à utiliser ou à proscrire dans les légendes, les choses à faire ou à éviter dans les mises en scène de chaque photo, la durée pour les contenus vidéos…

« Je ne me suis jamais sentie vraiment bridée dans la création de mes contenus. »

Pour ce qui est de la ligne édito, et au-delà de mon audience, les marques me choisissent beaucoup pour ce que je partage déjà sur mon compte (mon ton, mon univers) donc je ne me suis jamais sentie vraiment bridée dans la création de mes contenus. Elles demandent souvent de les valider avant publication, mais je n’ai jamais eu à faire de modifs sur mes textes.

 

4/ Sens-tu que tu as une responsabilité quant à ce que tu publies sur les réseaux sociaux ? 

 

Non seulement je le sens mais je me le dois à moi-même et aux autres. Pour ne pas me perdre à nouveau, ni même transmettre des valeurs que je peux condamner par ailleurs. Avant d’accepter un partenariat, aussi alléchant puisse-t-il être parfois, il faut que la marque ou l’entité que je vais représenter correspondent à mes valeurs. Et quand il s’agit de promouvoir des produits, et donc de les mettre en scène dans mon quotidien en van, il faut obligatoirement qu’ils me soient utiles, même si je les trouve vraiment chouettes et bien conçus, sinon c’est un non.

« Il faut que la marque ou l’entité que je vais représenter correspondent à mes valeurs. »

Et évidemment, il est indispensable pour tout créateur de contenus, de préciser et de mentionner le partenariat sur chaque publication concernée (NDLR : c’est d’ailleurs obligatoire 👀). Même si la marque demande de ne pas le faire. Afin de bien informer celui qui le verra que l’avis donné, même s’il est authentique, n’est pas spontané. Et que la personne a été payée pour le publier. Quand on est droit, il y a un rapport de confiance qui se crée avec son audience, alors partenariat ou pas, notre avis comptera. La mention partenariat rémunéré n’est pas rédhibitoire quand un vrai lien existe avec nos abonnés.

 

👍 Pour aller plus loin, nous vous conseillons d’aller découvrir le travail de Clémence Polge sur son site : https://www.studiopolge.fr/

 

Crédit photo : Anaïs Armand-Pétrier